PAR GILLES, MENTOR SUR MY JOB GLASSES, ENSEIGNANT ET CONSULTANT EN SYSTÈMES D’INFORMATION (À PARTIR DU LIVRE « TOUT VA CHANGER »*, AVEC LA COLLABORATION DE JACKY OUZIEL)
Les robots vont-ils nous dérober nos emplois et serions-nous condamnés à l’oisiveté et toutes ses conséquences négatives ?
On pourrait le craindre si l’on se laissait emporter par les élans de certains auteurs qui ne voient plus beaucoup d’espoir pour l’être humain. Mais on peut également pencher pour une vision complètement inverse où les robots ne pourraient fonctionner sans les humains et où une complémentarité s’instaurerait pour le plus grand bonheur de l’Humanité. Et cela semble particulièrement vrai en cette période très difficile que nous vivons actuellement et d’où ils pourraient nous aider à sortir par le haut. Et cela se perçoit dans de multiples domaines.
Robots killed the radio star, ou pas !
On le voit aujourd’hui avec les robots compositeurs de musique qui, malgré les craintes de certains, ne remettent pas du tout en question le compositeur humain. Tout au plus, les robots pourront produire de manière industrielle des chansons audibles que l’on passe en quantité dans les bars et discothèques branchées.
On découvre des robots qui parviennent à composer des musiques en quasi-autonomie, comme le programme Amper développé par Drew Silverstein qui fait gagner beaucoup de temps au compositeur Il nécessite beaucoup moins de moyens matériels et de studios couteux mais l’être humain reste néanmoins indispensable.
En quelque sorte, une démocratisation de la créativité qui ne sera plus réservée à des privilégiés. D’ailleurs, c’est ce que confirme Taryn Southern, sortie de l’émission de télévision « American Idol » et fervente utilisatrice d’Amper puisqu’elle est parvenue à produire avec ce robot un album complet, mais elle explique que l’humain conserve un rôle prépondérant dans la création musicale.
On parle de plus en plus de co-créativité entre l’homme et la machine, avec des propositions d’accords formulées par le robot mais auxquelles le compositeur humain doit donner son feu vert et sa touche personnelle et la décision finale de garder une idée ou de la rejeter.
Néanmoins, le robot n’a pas de goût musical et s’avère dépendant de l’être humain pour lui dire ce qui sonne bien ou non. Ainsi, quand on harmonise une chanson, il y a bien sûr des règles importantes à respecter mais on a généralement le choix entre différentes possibilités. Il faut « in fine » écouter ce qui sonne le mieux afin de choisir le bon accord qui va le plus émouvoir l’auditeur. Mais le robot n’a pas d’oreilles et encore moins de sensibilité et il reste dépendant de l’être humain. On peut imiter le talent, mélanger par des algorithmes d’intelligence artificielle diverses créations passées, mais ce n’est pas du talent. Le vrai talent est inimitable.
Le robot peut susciter des émotions chez ses utilisateurs mais ce n’est pas lui qui les ressent. En revanche, chez l’être humain, il y a parfois des sensations inexprimables ou quelque chose d’imprévisible. C’est ce que l’on voit au football où le génie d’un joueur se révèle quand il passe le ballon à un endroit où personne ne l’attendait et parvient à marquer le but. Il est lié à une inspiration que la machine ne peut pas avoir. Tout simplement parce que le robot n’aime pas, ne déteste pas, est dénué d’envies et ne ressent pas la souffrance…
Les robots musiciens sont généralement conçus à partir d’une base de données qui peut comporter des millions de chansons sur les 6 ou 7 dernières décennies afin d’aider le compositeur en manque d’inspiration. Mais les compositeurs, chercheront toujours à transmettre un petit plus qui exprime leur humanité. C’est ce que Michel Berger appelait : « le petit supplément d’âme ». À travers leurs compositions, ils pourront laisser une empreinte reconnaissable qui traversera les années voire les siècles.
Les robots ne mènent pas la danse
On voit également, dans un autre domaine artistique, des robots qui se mettent à danser avec une troupe comme celle de la chorégraphe Blanca Li, créatrice du spectacle « Robot » donné à Londres en février 2017, après avoir été créé à Montpellier en juillet 2013. Elle considère que sans l’homme, le robot n’est rien et qu’en fait il est complètement dépendant de nous. Elle pense même que l’on a moins peur des machines lorsque l’on quitte le spectacle.
L’homme reste donc indispensable à l’écriture du programme initial. Ensuite, le danseur s’adapte au robot, mais réciproquement le robot suit le danseur avec ses capteurs. Une véritable complémentarité s’instaure.
L’essor des robots dans le secteur commercial
On observe, avec la pandémie, la multiplication des drones ou des robots de livraison qui évitent les interactions humaines inutiles et sources de contamination, notamment dans le nord de l’Angleterre où cette pratique commence à se banaliser. Cela signifie que des emplois de livreurs seront supprimés mais remplacés par des emplois plus valorisants de logisticiens confiés à des humains, mais bien sûr en nombre moins important.
On voit également apparaître des robots dans les vitrines de magasins, notamment au Japon, exécuter des chorégraphies pour capter l’attention des clients et adapter leurs expressions, gestes et sourires en fonction de leurs réactions. De nombreux emplois pourraient ainsi être proposés puisqu’il faudra trouver des créatifs qui devront concevoir les chorégraphies et les animations. Et, la France semble bien placée dans cette voie…
L’impartialité et la rapidité des robots au service du secteur juridique
On devrait voir de plus en plus des robots-avocats aider les professionnels du droit dans leurs recherches de jurisprudence qui peuvent être très longues, chronophages et couteuses. Ils peuvent réaliser des recherches juridiques très pointues et beaucoup plus précises et exhaustives que n’importe quel collaborateur humain. Le robot réalisera tout ce travail en laissant à l’avocat plus de temps pour se consacrer aux plaidoiries, à la conciliation ou à la négociation.
Les collaborateurs devront surtout développer leurs qualités rédactionnelles et littéraires, indispensables à l’écriture de rapports divers. Ces robots gèreront eux-mêmes des quantités de données personnelles et pourront prendre des décisions qu’il faudra souvent modérer par des humains qui devront « in fine » trancher à l’issue d’une approche éthique personnelle et conserveront ainsi un rôle essentiel. Il en va de même avec des professions comme les experts-comptables, les notaires et bien d’autres encore.
La montée de la société de l'inspiration
En fait, un autre versant pourrait se manifester pour offrir à l’homme une opportunité fantastique de s’épanouir et de se faire plaisir autrement qu’à exprimer sa force, sa vitesse ou sa puissance. Cette crise sanitaire que nous vivons sera le levier d’une prise de conscience et devrait se transformer inévitablement en une remise en cause de nombreuses valeurs.
En d’autres termes, si tout est amené à changer, c’est parce que nous pourrions passer d’une société de consommation à une société de l’inspiration. Le corollaire en serait le basculement d’un monde centré sur l’information et les performances vers un monde des sensations, la production étant de plus en plus assurée par des robots de plus en plus présents.
Les innovations émergent toujours lorsque l’Humanité en a besoin. Les robots se présenteraient ainsi comme un don qui ferait émerger une nouvelle catégorie d’êtres, entre les animaux et les humains. Selon la façon de les appréhender, ils pourraient être considérés par certains comme de nouveaux assistants, par d’autres comme de véritables compagnons.
Mais, même s’ils se montrent plus présents pour nous protéger, la conséquence la plus probable et souhaitable, c’est que les robots contribuent à développer le talent de ceux qui les utilisent. En quelque sorte, une Nouvelle Renaissance où l’art et la littérature relèveraient la tête face à la technologie. Ce dont devraient tenir compte les jeunes dans leurs choix d’orientation.
C’est peut-être là une des seules chances pour l’être humain de ne pas se voir dépassé par des machines à qui il manquera toujours quelque chose : l’intuition mais aussi un réel sens de la douleur et du plaisir. D’un système uniforme en pleine dérive, il faudra passer à un système plus subtil et nuancé, où les principales qualités exigées seront le talent, l’intelligence et le discernement.